LE MONDE | 13.09.2017 à 19h42 • Mis à jour le 14.09.2017 à 09h59 | Par Romain Geoffroy Romain Geoffroy
D’où viennent les Rohingya ?
Lire aussi : Tensions et violences dans le nord Myanmar
Certains historiens considèrent que les Rohingya descendent de commerçants et de soldats arabes, mongols, turcs ou bengalis convertis à l’islam au XVe siècle. Voir le Monde Diplomatique
Dans le pays, l’origine même du nom de « Rohingya » est controversée. Les historiens birmans soutiennent que personne n’en avait entendu parler avant les années 1950. Ceux-ci renforcent la position du gouvernement, qui estime que les Rohingya sont arrivés au moment de la colonisation britannique, à la fin du XIXe siècle, et qu’ils sont donc des émigrés illégaux du Bangladesh voisin.
Apatrides depuis 1982, victimes de nombreuses restrictions
« il existe des tensions de longue date » entre les Rohingya et « la communauté bouddhiste du Rakhine », et « la ségrégation communautaire [y est] institutionnalisée ». Le document met en avant de nombreuses restrictions auxquelles les minorités musulmanes doivent se plier : Rapport commission Européenne – – mis à jour en mai
« Ils ne peuvent pas voyager sans autorisation, ni travailler en dehors de leurs villages, ni même se marier sans l’autorisation préalable des autorités, et n’ont pas accès en suffisance à la nourriture, aux soins de santé et à l’éducation. »
Le document européen ajoute qu’« en conséquence de la limite du nombre d’enfants autorisés pour les couples rohingya, des milliers d’enfants se retrouvent sans certificat de naissance car ils n’ont pas été déclarés ».
La privation de droits ne s’arrête pas là. Les Rohingya ont été officiellement interdits de vote lors des dernières élections générales de novembre 2015 et « n’ont eu droit à aucune représentation politique ».
Pourquoi cette crise revient-elle au cœur de l’actualité ?
« Cette fois, les Rohingya birmans sont la cible d’une campagne de déportation systématique, dont l’objectif semble être qu’elle soit totale et définitive. Une fin de leur monde », rapporte Rémy Ourdan, envoyé spécial du Monde à la frontière banglado-birmane. « Ceux qui restent derrière les fuyards sont exécutés, et les villages sont systématiquement brûlés », dit-il encore.
Lire notre reportage : « Partez ou vous allez tous mourir » : sur les routes de la déportation des Rohingya birmans
Le haut-commissaire de l’ONU aux droits humains, Zeid Ra’ad Al Hussein, a déclaré que « la situation sembl[ait] être un exemple classique de nettoyage ethnique » :
« Nous avons reçu de multiples rapports et des images satellitaires montrant des forces de sécurité et des milices locales brûlant des villages rohingya, et des informations cohérentes faisant état d’exécutions extrajudiciaires, y compris de tirs sur des civils en fuite. »
Les rebelles rohingya ont déclaré, dimanche 10 septembre, un cessez-le-feu unilatéral d’un mois, mais le gouvernement birman a répondu qu’il ne négociait pas avec des « terroristes ».
Quels sont les précédents épisodes de violence ?
Dans un rapport de 2013, ONG H R W accusait déjà les autorités birmanes, des membres de groupes arakanais et des moines bouddhistes d’avoir commis des crimes contre l’humanité en menant « des attaques coordonnées contre des quartiers et des villages musulmans en octobre 2012, afin de terroriser la population et de la déplacer de force ». L’organisation estime que les autorités birmanes avaient participé à la destruction de mosquées, lancé des vagues d’arrestations accompagnées de violences et bloqué l’accès des organismes d’aide humanitaire aux personnes déplacées.
Entre 2014 et 2015, « quelque quatre-vingt-quatorze mille personnes (pour beaucoup, des Rohingya) ont fui dans l’irrégularité, à bord d’embarcations précaires, finissant souvent entre les mains de trafiquants et de l’esclavage moderne », rappelle aussi la Commission européenne.
En octobre 2016, une série d’attaques contre des postes-frontières à proximité du Bangladesh fit neuf morts parmi les policiers. Ces attentats, revendiqués par l’ARSA, avaient déclenché une vaste opération de l’armée. Les activités humanitaires avaient alors été suspendues et plus de soixante-quatorze mille Rohingya avaient fui leur village vers le Bangladesh, accusant les forces de sécurité de multiples exactions. C’est le même scénario qui se répète depuis la fin du mois d’août, de façon décuplée.
Où fuient les Rohingya ?
Aujourd’hui, les Rohingya fuient encore massivement le pays par la mer pour rejoindre la Malaisie, formant le plus grand exode de la région depuis la fin de la guerre du Vietnam.
En mai, la Commission européenne estimait que trois cent mille à cinq cent mille Rohingya vivaient dans des camps de fortune au Bangladesh, en plus des trente-trois mille établis dans deux camps officiels gérés par l’ONU, à Nayapara et à Kutupalong. Depuis le 25 août, l’ONU estime que ce sont trois cent soixante-dix-neuf mille personnes supplémentaires qui ont fui la Birmanie pour le Bangladesh. Link text
Voir notre infographie : Exode des Rohingya .
Que fait la communauté internationale ?
Mardi, Pékin a réitéré son « soutien » à la Birmanie et aux « efforts » des autorités birmanes pour « préserver la stabilité » dans l’ouest du pays.
Des dirigeants de pays à majorité musulmane, dont le Bangladesh, l’Indonésie, la Turquie et le Pakistan, ont exhorté Naypyidaw [capitale du pays depuis 2005] à mettre fin aux violences dans l’Etat d’Arakan. En visite dans les camps de réfugiés, la première ministre bangladaise, Sheikh Hasina, a affirmé que c’était à la Birmanie de « résoudre » cette crise.
Que répond le gouvernement birman ?
L’an dernier, à la tribune des Nations unies, Mme Aung San Suu Kyi, qui dirige de facto le gouvernement birman depuis avril 2015, avait pourtant promis de soutenir les droits des Rohingya.
Sa tâche est notamment compliquée par la montée de bouddhistes extrémistes ces dernières années et par la grande autonomie de l’armée birmane, qui reste toute puissante dans cette zone de conflit.
L’enfer de la traversée des Rohingyas à la frontière entre la Birmanie et le Bangladesh
A réécouter « Nettoyage ethnique » en Birmanie : pourquoi la minorité musulmane Rohingya est-elle persécutée ? Link text
Mais avant d’atteindre les camps de réfugiés, encore faut-il survivre à la traversée entre les deux pays.
Pour le Choix de la rédaction, Julie Pietri et Marcos Darras se sont rendus à Bahar Para, l’un des points de passage pour ces réfugiés.
Nous avons mis huit jours pour arriver ici. Les militaires nous massacrent. Ils brûlent les villages, volent les récoltes. Pendant la journée, on se cachait d’eux dans la forêt, dans les arbres, sans rien pour nous abriter.

Il y a des Birmans, là, dans la rivière, qui nous demandent de l’argent. Ils nous demandent 5 000 takas (50 euros). Seulement après ils nous laissent passer. Et les militaires nous ont tout pris après la traversée : nos bijoux et tout ce qu’on avait de précieux. L’un de mes fils a été tué dans mon village. Beaucoup d’enfants qui fuyaient sont restés coincés dans la boue. Ils ont été découpés en morceaux. »

Je ne sais pas où l’on va… Je meurs de faim et de soif. Mon père a été tué. Mon frère a été tué : on essaie de sauver nos vies. Je ne sais pas pourquoi ils nous font ça. L’armée et les bouddhistes nous persécutent depuis longtemps. Là, ils nous disaient : Ce sont nos terres, pas les vôtres. Vous êtes Bengalis, vous devez aller au Bangladesh.
